Karlos Santamaria eta haren idazlanak

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Conférence du M. Santamaria

 

Conférences du Congrès Pax-Christi (Paris, 19-20 mars 1955), 1955

 

      La doctrine du Christ est, sans aucun doute, la plus réaliste qu'on puisse imaginer, mais il y a une façon de la concevoir et de la présenter qui en fait une sublime utopie.

      Concevoir le message évangélique à la manière d'un idéal absolument irréalisable sur la terre —même d'une façon imparfaite et inachevée— est la pire et la plus dangereuse de ses contrafaçons, car elle dénie à l'action temporelle des chrétiens toute possibilité valable d'efficacité.

      Malheureusement cette équivoque se trouve à la base de beaucoup de nos préjugés et de nos découragements actuels.

      Au lieu de se rattacher à un réalisme lucide et agissant, maints chrétiens restent comme paralysés devant un idéal mythique, absolument hors du réel.

      Or, quand on tâche d'envisager la Paix temporelle sous l'angle de la pensée et de la foi chrétiennes, on risque de tomber dans ce même piège. L'idée que nous nous faisons parfois d'une paix chrétienne n'a, peut-être, aucun élément en commun avec le monde où nous vivons: elle ne s'appuie pas du tout sur la réalité qui nous entoure, sur la circonstance historique. Elle apparaît très vite comme un utopie.

      Il y en a beaucoup qui sont sceptiques sur l'efficacité de nos efforts en faveur de la paix. Une paix chrétienne est-elle réalisable en ce monde? —se demandent-ils.

      Question doublement équivoque qui se prête trop facilement à la discussion et au verbalisme.

      Car, si l'expression «paix chrétienne» y introduit déjà un premier élément équivoque, le mot «réalisable» a, en face de l'histoire, une ambiguïté indiscutable. Réaliser historiquement n'est pas, ne peut pas être, parachever une oeuvre définitive et éternelle.

      Au fond, la question qui se pose est celle de l'efficacité de l'Évangelie comme ferment d'une transformation et même d'une révolution de la vie humaine sur la terre.

      Le christianisme qui a éliminé l'esclavage, qui un jour peut-être éliminera la condition prolétarienne, sera-t-il capable de chasser la guerre du monde?

      Il y en a qui répondent négativement á cette question. «Ce que le christianisme n'a pas fait en presque deux mille ans et á des époques où son influence n'était pas contestée ni partagée, le fera-t-il dans l'avenir?», dit par exemple Jules Romains. Et beaucoup trop de croyants partageraient, bien sûr, son doute.

      Mais cette négation n'est qu'une présomption sans fondements rationnels. Que savons-nous, que sait l'homme, des chemins de Dieu? Que savons-nous surtout de sa chronologie, de la chronologie de Dieu? Pour Lui un seul jour n'est-il pas comme mille ans, et mille ans comme un seul jour?

      Tâchons donc d'être réalistes en face d'une question aussi équivoque que celle-ci, ne prenant pas á la légère le parti des pessimistes, qui affirment d'emblée l'inutilité des efforts en faveur d'une paix chrétienne, ni celui des optimistes naïfs qui pensent qu'un beau jour cette paix chrétienne sera instaurée dans le monde d'une façon magique, comme résultat et récompense de nos prières, tombée du ciel, à l'insu de forces et de courants historiques.

      Dans ce problème de la paix chrétienne, il y a deux choses qui me semblent claires. La première est que le message du Christ a, en lui-même, une puissance pacifiante infinie, capable de modifier sous tous les rapports les aspects les plus brutaux et apparemment les plus immuables de la vie humaine.

      C'est la foi catholique qui nous l'assure, car autrement la Rédemption du Christ ne serait que la carapace extérieure d'un monde de péché définitivement damné.

      Notre expérience historique nous montre d'ailleurs que l'action du Corps Mystique, en ce qui concerne l'ordre temporel, l'ordre des peuples et des nations, ne sera pas accomplie miraculeusement en dehors de l'histoire, par une espèce de superposition artificielle, mais d'une façon indirecte, à travers des facteurs historiques et même économiques et techniques, et en fonction d'une évolution laborieuse dont les chrétiens doivent être les sujets actifs et intelligents.

      Voilà la force et la faiblesse, la grandeur et la misère, l'aspect divin et l'aspect humain, du message chrétien de la paix.

      Notre réalisme, le réalisme chrétien, nous présente ainsi le double aspect du problème. D'un côté, il nous montre l'existence de ce ferment visible en même temps qu'invisible, mais toujours réel, qu'est l'Église, vivante et agissante dans l'histoire, et il nous assure de sa puissance de paix, inexploitée —si on peut le dire ainsi—, ignorée par la plupart des chrétiens et contredite même par les péchés contre la paix de chacun de nous; des grands et des petits, de chefs et des sujets.

      Et par la haine et par l'égoïsme; et par l'intolérance et par la brutalité; et par le bellicisme et par l'esprit guerrier de tant de chrétiens qui n'ont pas encore compris que la suprême raison du Christ est l'amour.

      De l'autre côté, il nous invite encore à une tâche géante, mille fois supérieure à nos propres forces, mais devant laquelle nous ne devons pas reculer car «nous pouvons tout en Celui qui nous fortifie».

      Cette tâche est d'abord, bien entendu, celle de nous pacifier nous-mêmes, par le dépouillement, le renoncement et la pauvreté réelle du Christ, mais qui consiste aussi à faire pénétrer toutes ces forces de paix dans le courant de l'histoire par une action intelligente et patiente faite de moyens et de techniques humaines et temporelles.

      En vertu d'une loi profonde de l'économie divine, l'oeuvre de la Rédemption ne peut pas être entièrement accomplie sans le concours de moyens matériels: la foi elle-même doit être prêchée, enseignée, exprimée par des mots et des phrases, avant qu'elle envahisse invisiblement l'âme du croyant...

      Â«La plus belle idée, la plus vraie, ne peut aboutir que grâce à la médiation de l'histoire et des techniques appropriées», a-t-on dit naguère très judicieusement.

      La bonne volonté, les voeux et les prières ne suffisent pas pour que l'aspiration chrétienne de la paix soit réalisée d'une façon effective; il faut que des facteurs proprement historiques jouent leur rôle, que des structures économiques soient changées, que des consciences soient désintoxiquées par une éducation universaliste... Tout cela suppose une enquête extrêmement compliquée dont nous ne devons pas être seulement les témoins, mais les acteurs.

      De la même façon que l'abolition de l'esclavage ne fut pas possible, malgré les motivations spirituelles apportées par le christianisme, jusqu'au moment de la transformation des méthodes de traction animale, la mise en oeuvre de l'idée chrétienne de la paix est conditionnée par des réalisations techniques de tout ordre, dont nous ignorons la portée exacte, mais pour lesquelles nous devons travailler avec le plus grand enthousiasme et la foi la plus vive.

      En tout cas, dans l'action temporelle —économique, politique, pédagogique ou autre— une place très large est réservée à l'inspiration et à l'initiative des chrétiens et nous n'avons pas le droit d'y être absents.

      Un des plus grands maux de notre temps, que le Pape Pie XI a dénoncé plusieurs fois, est précisément l'absence des bons, l'indifférence des chrétiens.

      En affirmant l'inefficacité de l'action temporelle, en soulignant outre mesure le caractère transcendant et eschatologique du message évangelique, comme on l'a fait parfois, nous verrions les grandes tâches —comme la tâche de la paix— désertées par les catholiques, notre vocation chrétienne abandonnée et trahie.

      Si j'ai été de plus en plus attiré par PAX CHRISTI, si je me suis engagé dans ce Mouvement, si je lui consacre une belle partie de mon existence, c'est justement parce qu'il embrasse, en même temps, les deux aspects fondamentaux de l'action pour la paix que je viens de signaler à votre attention.

      Un mouvement purement spirituel de prières et de sacrifices pour la paix serait sans doute une chose excellente, mais qui risquerait de fausser notre attitude et l'attitude de l'Église en face du problème.

      Au contraire, une organisation destinée à l'action purement temporelle et qui, en partant des bases humaines plus ou moins inspirées par le message évangélique, oublierait le potentiel, naturel et surnaturel, de paix, enfermé dans le Corps Mystique du Christ, me semblerait une parfaite utopie, une aventure de pygmées, une entreprise folle, condamnée d'avance à l'échec.

      C'est au nom d'un réalisme clairvoyant, de l'intelligence chrétienne la plus hautement inspirée, que l'Église lance son message de Paix au Monde. Il n'y a rien d'utopique dans son attitude.

      Nous ne savons rien, bien sûr, sur ce qui se passera demain. Nous savons seulement que nous n'avons pas, en tant que chrétiens, le droit de nous désintéresser du problème, de fermer les yeux en face des millions de morts et des victimes morales de la guerre, que nous ne pouvons pas ignorer les atrocités, les crimes et les injustices que toute guerre, même si elle est juste, comporte.

      Nous ne pouvons pas, en conscience, nous enfermer dans un faux «éternisme» reprenant —hélas! dans un sens trop humain— le mot du Cohelet: «Ce qui a été, c'est ce qui sera; et ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil; ce qui est courbé ne peut se redresser, et ce qui manque ne peut être compté. Il y a un temps fixé pour tout, un temps pour la paix et un temps pour la guerre. Quel avantage celui qui travaille retire-t-il de sa peine?».

      Cette espèce de fatalisme paresseux qui se dégage de ces phrases si on les interprète trop à la lettre, sans se rendre compte de leur signification profonde, est évidemment inadmissible.

      Nous sommes faibles: nous le savons. Nous sommes impuissants: nous en avons conscience, car plus on est chrétien, plus on a le sens de sa petitesse et de sa pauvreté.

      Mais agissant en Église et avec l'Église, nous sommes extrêmement forts, car ce n'est pas la propre grandeur ni la propre force qui sont en jeu, mais la grandeur et la force du Seigneur qui nous réconfortent.

      Malgré notre réalisme, il y a, il doit y avoir, une dose très importante de mysticisme dans notre attitude. Mais ne confondons pas mysticisme avec utopie. Le réalisme et le mysticisme ne sont pas incompatibles: tout au contraire un vrai mysticisme comporte un sens très clair du réel.

      L'attitude chrétienne pourrait être donc caractérisée comme un réalisme mystique ou, si vous le préférez, comme un mysticisme réaliste.

      PAX CHRISTI a un fondement mystique que nous devons aucunement oublier. Il n'est pas seulement une doctrine, un programme, un plan d'action efficace pour la Paix. Il est tout cela, mais il est davantage et surtout une mystique.

      Personnellement, je tiens beaucoup à ce caractère mystique de notre Mouvement. Que voulez-vous! Je viens des riantes prairies basses-pyrénéennes que Loti a aimées mais qui ont donné quand même l'austère personnalité d'Ignace de Loyola. Et je viens aussi un peu, et je ne l'oublie jamais, de la plaine sèche et brûlée de la vieille Castilla qui a engendré Thérèse et Jean de la Croix. Je suis donc aussi un peu mystique à ma pauvre manière.

      Mais ce mot «mystique» que je viens d'employer, il faut l'expliquer, car si on en abuse, comme on le fait d'ordinaire, il peut devenir équivoque.

      Il y a le mystique dans le sens théologique du mot, c'est-à-dire l'homme dépouillé de tout, enlevé par le divin amour, l'homme qui est conduit par Dieu et emporté par Lui dans son sein vers les sommets de la vision éternelle.

      Il est Celui qui peut répéter en toute vérité le mot du Docteur mystique:

      Quedéme y olvidéme / El rostro recliné sobre el Amado. / Ceso todo y dejéme, / Dejando mi cuidado / Entre las azucenas olvidado.

      Je demeure et m'oublie. / Je pose sur l'Aimé mon visage. / Tout cesse. Je m'abandonne, / Abandonnant mes soucis / Oubliés parmi les lis.

      Mais il y a aussi une deuxième signification, moderne et courante du mot «mystique» —que le Père Desqueyrat a récemment mise en exergue dans un remarquable essai sur le sens de la gratuité—. Dans cette second acception, un mystique est un homme qui s'engage totalement, aussi totalement et définitivement que possible, en faveur d'une idée généreuse, un homme qui s'emplie existentiellement, qui fait le don de soi, par-dessus tout intérêt, tout calcul, toute limitation, un homme qui sacrifie tout parce qu'il agit en contact avec l'absolu ou avec ce qu'il croit être l'absolu.

      C'est dans ce sens qu'on peut parler d'une mystique communiste et c'est aussi dans ce sens qu'il faudrait parler d'un manque de mystique de beaucoup de chrétiens, qui conçoivent le christianisme comme un moralisme, c'est-à-dire comme un code de circulation, un règlement qu'il faut respecter, bien entendu, pour éviter des accidents, mais qu'une fois respecté nous laisse libres, ne nous engage à rien, ne nous compromet pas vitalement.

      Ces deux sens ne sont pas du tout opposés, ils se rattachent étroitement et au fond ils ne se réalisent d'une façon parfaite qu'en se confondant en une seule réalité.

      C'est ainsi que nous pouvons parler à juste titre du mysticisme de PAX CHRISTI dans le double sens que je viens d'énoncer: de l'absolu et du relatif, de la contemplation et de l'action, de l'abandon entre les mains de Dieu et de l'emploi de moyens temporels. Car tout cela se conjugue et s'harmonise parfaitement dans un mouvement d'Église comme le nôtre.

      Un mystique n'est pas un fou, mais un homme plus raisonnable que les autres et qui voit plus clair; un mystique n'est pas quelqu'un qui regarde un beau spectacle, le spectacle de Dieu, mais un homme qui sait ce qu'il faut faire à chaque moment et qui reçoit de Dieu la force suffisante pour accomplir son devoir jusqu'à l'héroïsme. Un mystique n'est pas un bon bourgeois qui contemple, mais un contemplatif fépouille de soi-même, qui s'adonne avec générosité à sa tâche. Et c'est Catherine, écoutée par les Papes; et c'est Jeanne à cheval, en tête de son armée; et c'est Thérèse, l'inlassable voyageuse; et le pauvret d'Assise et l'étudiant navarrois, et tant d'autres qu'on ne connaît pas; tant d'autre qu'on ignore et qu'on ignorera jusqu'à la fin du temps.

      Je ne crois pas qu'il n'y ait rien d'exagéré ou de faux à dire que PAX CHRISTI comporte une mystique, qu'elle soit une mystique. Cela n'exclut pas, comme vous le voyez bien —au contraire, elle les exige— ni l'efficacité temporelle, ni l'emploi des moyens humains, ni la vision réaliste du monde et de la situation historique.

      Voici, je le répète, ce qui m'attire en PAX CHRISTI et qui justifie un peu ma présence ici, venant d'un pays pas très lointain du vôtre pour vous dire ma foi et mon espérance.

      Je crois, mes chers amis, que sous sommes tous du même bois. Que nous avons tous la même vocation, une vocation que j'appelle souvent la vocation d'hommes-ponts.

      Il y en a parmi les chrétiens qui sont comme des chapelles vivantes. Il y en a qui sont comme des voix qui clament dans le désert. Il y en a aussi qui sont comme des forteresses. Je les admire et je les aime; car, comme disait Péguy: «il faut de tout pour faire un monde. Il faut des créatures de toute sorte pour faire une création. Il faut des paroissiens de toute sorte pour faire une paroisse. Il faut des chrétiens de toute sorte pour faire une chrétienté».

      Mais nous, nous sommes comme des ponts. Dépassant la tâche des Paciaires du Moyen-Age, mais dans leur même ligne, notre mission consiste à réduire les distances, encore trop longues entre les membres du Corps Mystique, à mettre en communication les rivages opposés de ce grand océan des égoïsmes collectifs, à faire, en somme, valoir et vivre dans une mesure infime, si vous voulez, minuscule, mais réelle, le mot franciscain de Francis Jammes: «Il n'est qu'un Pain, il n'est qu'une patrie».

      Le dernier message de Noèl a été pour moi, et je crois pour vous tous, l'occasion d'une grande et belle consolation, car dans ce message le Pape a parlé d'un pont de paix qui serait jeté au nom du Christ. Et c'est justement cela ce que j'ai toujours pensé de PAX CHRISTI et de ma propre vocation.

      Mais ne croyons pas du tout que cette tâche d'hommes-ponts de supporter des poids très lourds, de ne rien garder pour eux, d'être foulés au pied par les gens, et c'est à cause de cela qu'ils doivent être fermes et sûrs.

      Le Saint-Père lui-même nous a expliqué dans son message ce que les hommes-ponts doivent être surtout ce qu'ils ne peuvent pas être.

      Ce ne sont pas les sceptiques, ni les cyniques, nous a-t-il dit, qui feront le pont de la Paix; ni les idéologistes —bien sûr— ceux qui se sont épris d'une idéologie et qui ont oublié l'homme et sa valeur, et sa misère, et sa souffrance, et sa destinée éternelle.

      Ni les agnostiques qui feignent d'ignorer l'absolu, ni les amoraux qui se vantent de leur liberté en face de toute loi.

      Reconnaissons donc où se trouve notre vrai vocation et tâchons de la suivre courageusement.

      Ce n'est pas l'éclectisme qui fera le pont de la Paix, mais la croyance, la ferme croyance.

      Ce ne sont pas l'intérêt et l'égoïsme qui rapprocheront les peuples mais la générosité et l'amour.

      Ce n'est pas le désespoir qui travaillera le monde de l'avenir, mais l'espérance, «cette petite espérance, cette flamme tremblante à tous les vents, qui n'a l'air de rien du tout, mais qui brûle éternellement dans la lampe fidèle», comme disait Péguy.

      L'égoïsme, l'incroyance, le désespoir, c'est la muraille. La croyance, l'espérance, l'amour, c'est le pont.

 

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