Karlos Santamaria eta haren idazlanak

 

Jacques Leclercq: L'homme, son oeuvre et ses amis. L'homme à la recherche de Dieu

 

1961

 

      Jacques Leclercq a publié en 1948 une étude intitulée Le problème de la Foi dans les milieux intellectuels du XXe siècle. Cette étude m'a beaucoup frappé et je l'ai relue maintes fois. On y trouve des réflexions sur le problème de la foi, extrêmement précieuses pour les gens de formation scientifique, dont je suis. La lecture de ce libre m'a suggéré quelques observations. Je voudrais en faire l'objet de la présente contribution.

      Parmi les objections qui sont, à l'heure actuelle, répandues dans les milieux intellectuels, le chanoine Leclercq signale celles qui dérivent du positivisme scientifique. «La mentalité positive —dit il— domine une grande parte et, peut-être, la plus grande part, du monde intellectuel de l'Occident». Ceux qui ont reçu cette formation intellectuelle sont, en général, assez mal disposés à accepter ce qui ne relève pas de la logique scientifique, c'est-à-dire, de la rigueur mathématique et de la vérification expérimentale. C'est pourquoi ils ont du mal à comprendre la foi; ils en font une question secondaire, d'attachement sentimental ou de tradition familiale.

      Cette difficulté est accrue, à mon avis, par l'existence d'un assez lourd bagage de fausses croyances. Je ne sais si l'homme du moyen âge était aussi croyant qu'on le prétend. Il était, en tout cas, fort crédule. Dans la tradition populaire chrétienne, on trouve des mythes, des faits merveilleux, des histoires de revenants et des superstitions, qui n'ont pas encore été entièrement éliminés dans l'Église d'aujourd'hui. Cette même crédulité, ce penchant à la fantasmagorie, existe encore dans les milieux traditionnellement chrétiens. Il devient cependant de moins en moins courant.

      L'homme moderne réagit contre cette crédulité et il adopte, à l'inverse, une attitude extrêmement critique qui détruit la confiance en toute forme de connaissance. C'est une longue histoire —celle de la crise de la pensée philosophique— qui à l'heure actuelle atteint son apogée.

      Le mouvement a commencé le jour où l'homme de la Renaissance propagea la nouvelle sensationnelle que la terre bougeait. À partir de ce moment, la crise de confiance est commencée. On s'est dit: «Si nous nous sommes trompés dans cette question de la terre et du soleil, si la réalité est à l'opposé de ce que nous croyions, pourquoi n'aurions nous pas tort en beaucoup d'autres points?

      Ã€ partir de cet instant, l'homme commence à se défier de tout. Les efforts que Descartes et Kant ont déployés pour édifier un mur de soutènement échouent. La critique ne renforce pas la confiance, au contraire, elle la fait chanceler davantage. Il faut attendre le marxisme pour retrouver une philosophie confiante, bien qu'erronée.

      Quant à la science, elle a tâché de se maintenir à l'écart de ces difficultés. Elle n'entre pas dans la polémique de la valeur de la connaissance, et moins encore dans celle du jugement moral. Elle choisit son objet de façon à éliminer le problème. Pour un mathématicien contemporain, le nombre n'est plus l'expression d'un certain absolu, plus ou moins sacré, mais un symbole commode. On est disposé à accepter n'importe quelle forme de calcul symbolique à condition qu'il soit logique et pratique et que personne ne prétende en faire une utilisation sacrée à la manière platonicienne ou pythagoricienne.

      Quant aux physiciens, ils ne croient plus à la physique comme connaissance d'une réalité matérielle «chosistique»; mais seulement en tant qu'ensemble de faits expérimentaux ordonnés.

      Si un physicien peut et doit accepter cette limitation par rapport à la science, à l'égard de sa propre existence il ne le peut, sans tomber dans la misère morale. Le néo-positivisme est justifié parce qu'il délimite l'objet scientifique et élimine les pseudo-problèmes; mais il n'apporte aucune solution qui permette de vivre raisonnablement les aspects négatifs de l'existence.

      Sans croyance, sans sécurité d'aucune espèce, l'homme se trouve devant un dilemme: l'angoisse ou le divertissement.

      Ã€ l'égard du problème fondamental de l'homme —le sens de son existence, son destin personnel— la recherche n'est souvent qu'une évasion.

      Â«La recherche scientifique —dit Unamuno— est pour certains une espèce d'opium destiné à assoupir les inquiétudes intimes de l'esprit, à faire taire certaines voix intérieures, l'appel de l'éternité».

      Mais cela n'est pas le cas général. Je crois, au contraire, que beaucoup de savants d'aujourd'hui suivent la ligne pascalienne même s'ils ne le disent pas. C'est la vraie forme de l'angoisse, celle qui ne fait ni discours ni traités de métaphysique. En tant que savants, ces hommes sont partisans de la rigueur logique; mais en tant qu'êtres humains, ils connaissent mieux que personne les limites de leur discipline scientifique, et savent que celle ci ne les sauvera pas. Le messianisme scientifique, nouvelle forme de superstition populaire, n'est pas, en général, l'oeuvre des hommes de science, mais celle des auteurs de romans d'anticipation et des vulgarisateurs. La ligne pascalienne en opposition à l'esprit positif de Camus, suppose une certaine défiance à l'égard de la raison et de la connaissance.

      L'homme moderne ou, du moins, un certain type d'homme moderne, n'a pas seulement perdu la foi religieuse. Il a aussi perdu la foi en la raison. Cela pose un problème apologétique très différent de celui du rationalisme.

      Â«Ã€ l'heure actuelle —dit Ortega y Gasset— existe une 'culture de la désespérance' qui dépasse le scientisme ainsi que toute prétention de connaissance géométrique ou 'cartésienne' de la réalité». Or, «quand la foi meurt il se présente une certaine forme de désespoir qui conduit souvent à une nouvelle forme de connaissance. Mais il y a aussi un désespoir de la connaissance qui mène à une nouvelle époque de foi».

      Etant donné cette situation, faut-il faire à nouveau confiance en la raison ou chercher par une autre voie, une foi renouvelée?

      C'est, par un retour sur soi-même qu'il faut combattre le désespoir. Bien sûr, c'eût été la méthode de Pascal.

      Celui-ci qui était aussi un savant, mais surtout un homme d'un tempérament religieux très puissant, avait coutume de se battre avec les mêmes armes que lui fournissait la situation dans laquelle il se trouvait. Dénué de tout, l'homme se livrera à une recherche désespérée. Dans le doute et le désespoir, il partira du doute et du désespoir. Rendu méfiant, il progressera à partir d'un sentiment de méfiance. Mais avant tout, c'est la «faim des choses spirituelles» qui lui permettra de découvrir le rang auquel il correspond dans l'univers.

      Ceci nous mène à examiner l'attitude de l'homme qui fait de la recherche l'objet même de son existence. Il ne s'agit pas, bien entendu, de la recherche scientifique ou historique, mais de celle de Dieu et de nos rapports avec Lui. C'est une recherche qui ne se borne pas à réaliser quelque chose d'extérieur mais avec laquelle on est existentiellement lié.

      Parlant de Nietzsche, quelqu'un a dit que l'irréligiosité contemporaine est une forme aiguë de religion. Je ne crois pas que cela soit un simple paradoxe. Il s'agit là d'une affirmation possédant un fondement réel. Il est peut-être vrai que dans l'irréligion actuelle se trouve quelque chose de profondément religieux qui n'existait pas dans la foi du XVIIIe siècle. Aujourd'hui plus que jamais pour l'homme cultivé, la religion est un besoin profond et réel même si ce besoin demeure inconscient.

      Â«Le désespoir religieux est le fond de la conscience des individus des peuples civilisés d'aujourd'hui» —dit D. Miguel de Unamuno.

      L'angoisse religieuse se dissimule parfois sous une apparence de divertissement tout en restant vivante à l'intérieur de l'âme. Puisqu'il faut continuer à vivre sans croire à la vie et sans y rien comprendre, on tentera de s'y accommoder. Comme le personnage du Procès de Kafka, l'homme agira automatiquement, il acceptera les conventions sociales, fera l'amour, s'occupera de politique, de science ou d'érudition, sans croire, le moins du monde, à la valeur de ce qu'il fait, sans s'y intéresser vraiment.

      Souvent, les personnes, qui cachent leur angoisse sous un masque d'irréligiosité, sont des gens qui ont été scandalisés par le spectacle que nous offre l'Église. Elles cherchaient Dieu passionnément et n'ont trouvé que des hommes vulgaires et des passions grossières.

      On ne le découvre pas facilement l'homme angoissé. De même, on ne reconnaît que malaisément, sous son apparence vulgaire, le chevalier de la foi de Kierkegaard.

      Il n'est pas concevable qu'un homme vraiment angoissé se mette à philosopher. Du moment qu'il réfléchit il n'est plus dans l'angoisse; il a trouvé une façon de s'en détourner, de s'y soustraire. «Le désespoir n'écrit pas».

      Or, ce qui nous préoccupe ici, c'est le désespoir actif, celui qui ne se renie pas, qui ne se résigne pas à disparaître comme tel, qui n'accepte pas de se transformer, qui refuse les accommodements ou les marchandages. Celui qui se nourrit de l'absurde. Il a pleine conscience de sa propre tragédie, et il veut rester désespoir. Il n'accepte donc pas de devenir logique, de revêtir l'habit du pédant.

      Cette attitude comporte une sorte de «virginité» farouche et indomptable, se refusant d'avance à tout contact, à toute présence de chose visible ou d'idée rationnelle dans la vie intérieure.

      Comme dans le «roi du Salon obscur», l'âme a été tant de fois dupée par les faux rois, qu'elle est entièrement déçue; elle ne demande plus que le néant.

      C'est peut-être par un sens hypertrophié de la transcendance et de l'absolu, que toute forme de religion visible est écartée.

      En ce qui concerne la recherche de la vérité, Pascal nous présente trois situations différentes. La citation est connue: «Il n'y a que trois sortes de personnes: les unes qui servent Dieu, l'ayant trouvé; les autres qui s'emploient à le chercher ne l'ayant pas trouvé; les autres qui vivent sans le chercher ni l'avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux; les derniers sont fous et malheureux; ceux du milieu sont malheureux et raisonnables».

      Pascal blâme ceux qui vivent sans aucun souci du problème religieux. «Cette négligence —dit-il— m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit: elle m'étonne et m'épouvante: c'est un monstre pour moi».

      Laissons de côté le monstre, ce fou malheureux, décrit par Pascal dans sa théorie du divertissement, l'homme qui joue au piquet dans son cachot. Il ne nous reste dès lors que deux attitudes raisonnables: celle de «l'homme qui cherche» —le vrai sceptique— et celle de «l'homme qui a trouvé» —le croyant plus ou moins installé dans sa croyance. «Il n'y a que deux sortes de personnes —dit encore Pascal— qu'on puisse appeler raisonnables: ceux qui servent Dieu de tout leur coeur parce qu'ils le connaissent, et ceux qui le cherchent de tout leur coeur parce qu'ils ne le connaissent pas».

      C'est ce dernier, le chercheur de Dieu, sceptique, lucide et angoissé qui nous intéresse davantage, en ce moment.

      Bien entendu, ce type d'homme est théorique.

      Il n'existe pas de chercheur absolu, de même qu'il n'y a pas de Kirillov, suicide absolu. On a cependant le droit de penser que beaucoup d'incroyants de notre temps correspondent, avec assez d'exactitude, au modèle que nous présentons ici.

      Kafka, Unamuno et Camus sont probablement —parmi les penseurs connus— les hommes les plus représentatifs à cet égard. Mais, mis à part ces porte-parole de la littérature désespérée, il est possible sans doute de rencontrer partout des hommes angoissés et honnêtes vivant dans une attitude assez proche de celle du chercheur absolu que nous tâchons de décrire.

      Faut-il rappeler que le mot scepticisme ne signifie pas purement et simplement incroyance. C'est une incroyance qui cherche impatiemment, qui examine sans cesse toutes possibilités de croire, même si elle ne croit pas à cette possibilité. Dans ce sens étymologique (griego: j'examine) on peut parler d'un scepticisme conscient et angoissé.

      Chercher est un acte très complexe. On l'applique à nombre de gestes différents. Il est permis de chercher une personne, une chose, un objet perdu. On cherche son chemin, une situation. On cherche une idée, la solution d'un problème, la loi d'un phénomène. On recherche le plaisir, la vertu, le bonheur. On cherche à connaître, à posséder, à avoir, à être. On cherche la perfection, la vérité. On cherche Dieu.

      En général on cherche des choses accessibles mais il arrive que l'on cherche l'absurde ou l'impossible. Plus la disproportion entre ce qu'on a et ce qu'on veut avoir —ou entre ce qu'on est et ce qu'on veut être— est grande, plus la recherche est tragique, plus elle exige la mise en jeu de ressources surhumaines. La difficulté —voire l'impossibilité— de la rencontre augmente ainsi le caractère tragique de la démarche.

      Le chercheur absolu dont nous parlons est celui qui n'a rien et qui cherche le Tout. Il ne cherche pas une vérité étrangère à lui-même, une vérité qu'il veut savoir ou posséder de la même façon qu'on possède un secret, la clé d'une énigme. Mais il s'applique à devenir lui-même vérité, de façon telle que son existence ait un sens, en rapport avec la réalité universelle.

      Dans la terminologie de Marcel, la démarche du chercheur absolu n'a rien à faire avec un problème, mais avec un mystère.

      Â«Vérité? Vérité dites-vous? La vérité est quelque chose de plus intime que la concordance logique entre deux concepts, l'adéquation de l'intelligence à la chose; elle est l'union intime de mon esprit avec l'Esprit universel» disait Unamuno.

      Donc, la vérité dont il s'agit ici est une vérité religieuse, une vérité qui «relie» à celui qui la cherche.

      Le chercheur absolu est un incroyant désespéré. Dans ce sens, il cherche l'inaccessible, c'est-à-dire, quelque chose qu'il considère comme hors d'atteinte, mais dont il a tellement besoin qu'il lui faut continuer 'a la chercher. En exagérant un peu, l'on pourrait dire que l'aspiration vers un infini comparée aux difficultés d'aboutir à la possession de l'objet recherché permet de réaliser la mesure des efforts qui devront être déployés.

      De cette recherche désespérée et absurde, le chercheur absolu fait, à tort ou à raison, une religion.

      D. Miguel de Unamuno adopte cette attitude: «Ma religion —dit-il— est celle de chercher la vérité dans la vie et la vie dans la vérité, même en sachant que je ne la trouverai pas tant que je vivrai... C'est parce que le but de mon effort est impossible que je lutterai toute ma vie en tâchant de gravir l'inaccessible».

      Cet aspect de «l'inaccessibilité» du but est essentiel à la recherche absolue. Comme on l'a déjà dit, on y cherche l'impossible ou ce qu'on y considère, d'avance, comme impossible: on le cherche en vertu d'une flamme, intérieure et irrésistible, d'une raison secrète de la conscience ou du coeur.

      L'Évangelie ne nous incite-t-il pas à la recherche d'un impossible? «Le Christ disait: 'Soyez parfait comme l'est votre Père qui est au ciel'. Un tel idéal de perfection étant impossible à réaliser, le Christ nous désigne un but impossible à atteindre. Mais, selon les théologiens, l'impossible devient possible par la grâce» dit don Miguel.

      La recherche absurde du chercheur absolu acquerrait-elle un sens par la grâce?

      Le chercheur est l'homme le plus dépourvu que l'on puisse imaginer, car il ne croit plus à la raison et ne possède pas encore la foi. Il ne croit pas et peut, être même ne croira jamais. Mais néanmoins, une flamme mystérieuse l'habite; il l'appelle sa foi. C'est par sa fidélité que, peut-être un jour, l'impossible deviendra possible.

      Ainsi, l'impossibilité du but n'est pas absolue aux yeux du chercheur. Celui-ci alimente encore un espoir secret, qu'il n'ose presque se confesser à lui-même. Cette situation présente un aspect surhumain n'ayant rien de commun avec les prévisions humaines.

      Camus, dans son interprétation du Château de Kafka, tâche d'expliquer le personnage central, l'arpenteur, comme un chercheur absolu. Cet homme malheureux «s'entêtera à trouver son chemin... fera toutes les démarches, biaisera, ne se fâchera jamais et, avec une foi déconcertante, voudra rentrer dans sa fonction... Des vois confuses et mêlées, des rires vagues, des appels lointains qu'il perçoit lorsqu'il téléphone au château, suffisent à nourrir son espoir, comme ces quelques signes qui paraissent dans le ciel d'été ou ces promesses du soir qui font notre raison de vivre».

      Dans l'incrédulité du chercheur il y a donc une nuance d'incertitude: même s'il croit ses efforts inutiles, il n'en est pas sûr: «Je deviens toute mélancolique, dit Olga, quand Bernabé me dit le matin qu'il va au château: ce trajet probablement inutile, ce jour probablement perdu, cet espoir probablement vain». «Probablement», sur cette nuance encore, Kafka base son oeuvre tout entière mais rien n'y fait; la recherche de l'éternel est ici méticuleuse. Et ces automates inspirés, que sont les personnages de Kafka, nous donnent l'image même de ce que nous serions, privés de nos divertissements.

      Comme nous l'avons suggéré antérieurement, nous retrouvons ici sous une autre forme le pari de Pascal. S'il est vrai que, dans l'esprit du chercheur, l'absurde s'est installé de sorte qu'il ne semble plus y avoir qu'une chance infime de s'en tirer, la promesse contenue dans cette chance est tellement grande et tellement essentielle qu'elle permet encore de croire qu'elle s'accomplira.

      Au fond il n'y a personne qui soit convaincu de l'inutilité ou de l'absurdité de la vie. «Je ne sais pas, c'est vrai; peut-être je ne pourrai jamais savoir, mais je veux savoir. Je le veux et c'est fini» dit Unamuno. C'est à ce peut-être infinitésimal que le chercheur accroche tout son être, toute sa volonté. Là, se trouve le point de jonction de la foi et du désespoir.

      Comme le fait remarquer Max Brode à propos de l'arpenteur, la prétention du chercheur n'est pas une prétention fantastique. Il ne s'agit pas de découvrir les suprêmes secrets de l'univers, mais simplement d'assumer sa fonction, c'est-à-dire d'assumer sa propre existence.

      Or, est-il légitime de considérer la recherche de la vérité comme une espèce de religion? Parmi les étymologies du mot «religion», saint Thomas cite celle de saint Augustin qui rapproche «religion» de «relier» (religare).

      Mon compatriote, le philosophe Xavier de Zubiri, a remarquablement mis en lumière cette signification, dans son étude: Autour du problème de Dieu. «L'homme —dit-il— n'a pas une religion, il est lui-même religion ou 'reliaison': il est 'relié' à son existence et cette façon d'être relié est une dimension formelle de l'être personnel humain». Cette «reliaison» est la manifestation première et essentielle de Dieu dans la vie de chacun Dieu est Celui qui m'a relié à l'existence. «La religion dans ce sens-là n'est pas un simple sentiment, ni une pure connaissance, ni non plus un acte d'obéissance, ou un surplus d'action, mais l'actualisation de cet 'être relié' qu'est l'homme», dit Zubiri.

      De quelle façon cette actualisation se produit-elle dans la conscience de chaque homme? Il est évident qu'il est possible de répondre à cette question de façon fort diverse. Celle qui nous intéresse le plus en ce moment, est celle qui concerne notre chercheur absolu.

      Elle consiste, sans doute, à vivre avec lucidité, honnêteté et humilité totales, une situation sans faux-fuyants, sans failles, sans «pores» (griego).

      Une vraie apologétique ne peut se fonder sur le mensonge. Sans lui conseiller de s'évader ou de tâcher de s'évader par n'importe quelle issue, tel le divertissement ou l'abêtissement, peut-être faudra-t-il inviter le chercheur à épuiser en pleine conscience et avec une calme étonnant le contenu pré-religieux de sa situation.

      Maritain n'hésite pas à affirmer la valeur religieuse de cette attitude. Il y a là —dit-il— dans l'existentialisme «une irruption et une revendication essentiellement religieuses, une agonie de la foi, le cri de la subjectivité vers son Dieu, et du même coup la révélation de la personne, en son angoisse du néant qui est le non-être dans l'existant, la fêlure dans l'existant».

      Malheureusement, «le cri jeté du fond de l'abîme est devenu un thème philosophique. Minerve, mais quelle Minerve, a transporté l'échelle de Jacob sur ses chantiers. Elle la débite en pièces de rechange pour décors de théâtre et fauteuils académiques».

      Le geste qui correspond à l'angoisse est un cri et non un syllogisme ou un savant discours. «Pleurons, crions, appelons Dieu, même s'il ne nous écoute pas. Mais si! Il nous écoutera» (Unamuno).

      Ce cri d'angoisse est la prière du désespéré. La lucidité, qui oblige l'homme à pleurer, à crier, à chercher désespérément, n'est pas une maladie, comme on l'a dit parfois, mais, sans doute, un appel divin qu'un jour, peut-être, l'homme angoissé saura écouter et comprendre.

      L'absurde est le mur des lamentations de l'incroyant. Il ne faut pas qu'il le quitte pour aller se promener dans des temples artificiels tant que la vraie croyance ne vient pas le tirer de l'état où il se trouve.

      L'attitude du chercheur absolu sera donc celle de celui qui «cherche en gémissant» ainsi que le veut Pascal et ainsi que l'a fait saint Augustin. L'homme qu'on décrit dans les Confessions à travers des différentes passages du récit autobiographique, cet homme «submergé dans un océan de perplexité», «angoissé par le manque de vérité» et «qui se défie de la trouver», cet «homme sans espoir», entièrement «livré à sa désespérance», «ayant perdu même toute confiance dans la possibilité de découvrir un chemin», est, sans doute, un chercheur absolu, dans le sens que nous lui avons donné.

      C'est pourquoi dans la première page de ses Confessions, saint Augustin rappelle la promesse biblique: «Ceux qui cherchent le Seigneur le loueront parce que ceux qui le cherchent le trouvent et ceux qui l'ont trouvé le loueront». Il y a donc dans la recherche pure et sincère de Dieu, une sorte de louange ou de prière anticipée, adressée à ce même Dieu encore inconnu et dont l'existence n'est pas encore prouvée rationnellement, mais qui est présent à la conscience sous une forme cachée, douloureuse, indéniable, infiniment plus puissante que celle des syllogismes.

      C'est la promesse du Deutéronome, valable pour tous ceux qui, hommes ou peuples, adoptent comme loi l'humilité et la pureté, les «beati» qui verront Dieu parce qu'ils ont le coeur pur. «Tu chercheras ton Dieu. Si tu le cherches de tout ton coeur et de toute ton âme tu le trouveras. Au milieu de ta détresse tu écouteras sa voix».

      Tout ce que nous venons de dire met en lumière l'aspect paradoxal de cette recherche.

      Il ne s'agit pas de la recherche de n'importe quelle vérité mineure, mais de la vérité absolue, dans laquelle nous «sommes».

      Cette recherche présente des caractères spéciaux, souvent contradictoires.

      La Vérité dont nous parlons est la seule chose qu'il nous faut continuer à chercher une fois qu'on l'a trouvée et, en même temps, la seule qu'on a déjà trouvée du moment même qu'on la cherche.

      La première partie de cette phrase est confirmée par l'expérience des mystiques. Dieu n'est pas seulement un Dieu caché, mais un Dieu qui disparaît, qui fuit, qui se dérobe de temps en temps. «Vous m'avez vu: pour un temps, vous ne me verrez plus». Ainsi, après les visions les plus bouleversantes, le mystique se trouve de nouveau seul. Il est même plus isolé qu'auparavant comme si sa vision n'avait été qu'une illusion. «J'étais hors de moi quand il me parlait. Je sors pour le chercher, et ne le trouve pas. Je l'appelle. Il ne me répond pas». Qu'il reprenne son habit et son bâton de pèlerin et continue sa marche. Bien entendu il a désormais la foi, une foi renforcée par l'expérience mystique, mais celle-ci ne le dispensera pas de chercher Dieu de toute son âme: au contraire elle l'y pousse.

      En second lieu, l'obligation de poursuivre toujours la recherche de la vérité, même pour ceux qui l'ont déjà trouvée, présente un rapport étroit avec le mystère de l'appel divin, contenu dans le mot de saint Bernard: «non possent quaerere non habentes». Le caractère extrêmement paradoxal de la recherche dont nous parlons ressort de cette constatation.

      En général, l'homme ne cherche plus ce qu'il a trouvé. Lorsqu'il possède une chose, c'est folie de la chercher encore.

      Tandis que dans notre cas, pour chercher Dieu, déjà il faut le posséder d'une certaine façon. «En le cherchant vous le possédez» dit le P. Yves de la Brière.

      Â«Console-toi, tu ne chercherais pas, si tu ne m'avais trouvé».

      Je ne parviendrai pas à épuiser le sens profond de cette pensée de Pascal.

 

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