Karlos Santamaria eta haren idazlanak

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Action pour la Paix et réalisme politique

 

Mission et charité, 7 zk., 1962-07

 

Eviter les illusions

 

      On nous avait dit que l'humanité atteindrait bientôt un état de civilisation, de maturité, de plénitude historique, dans lequel la brutalité des rapports collectifs entre les hommes serait bannie. Un régime de raison et de droit serait en train de remplacer, grâce aux progrès de la culture, les structures de force et d'esclavage.

      Certains événements récents ou actuels nous montrent jusqu'à quel point cet espoir était illusoire. Notre génération ayant été le témoin de ces faits, elle est en mesure de constater la force, toujours immense, des instincts de mort et de destruction: la guerre civile espagnole, avec son dénominateur commun de vengeances, représailles et assassinats; l'épisode du nazisme et de la guerre mondiale; la triste histoire du double terrorisme algérien, tout l'ensemble d'événements tragiques contemporains nous montre au vif la réalité de notre situation. Personne ne peut se croire en dehors des courants de passion et de haine. Nous sommes tous des violents; comme l'a dit Joseph Comblin, «la ligne de partage entre le pacifique et le violent passe à travers chacun de nous».

      Ce n'est peut-être pas le moment de discuter s'il y a encore aujourd'hui des guerres justes, puisque la violence déborde largement le cadre de la guerre comme institution juridique. L'action pacifique ne peut donc pas viser la guerre internationale comme le danger et le mal le plus grave: c'est toute l'ambiance de notre monde qui est infectée de violence, d'une violence croissante qui semble augmenter à mesure que le progrès matériel met entre les mains de l'homme des moyens plus puissants. L'homme de l'automobile, du frigidaire et de la télévision ne semble pas moins brutal, au contraire, que celui de la charrue, de la lampe à huile et de la charrette.

 

Délimiter et préciser les objectifs

 

      Mais, heureusement, à mesure que la vague de violence se révèle plus forte, le désir de paix devient plus général et plus intense. Des hommes de toute sorte et condition seraient aujourd'hui, plus que jamais, disposés à travailler ensemble pour l'amélioration des rapports humains dans un climat de paix authentique. En lisant les journaux, beaucoup de personnes se posent, sans doute, la question «qu'est-ce que je pourrais faire pour que cela change?». Malheureusement il n'est pas toujours facile de répondre à cette question par une réponse concrète. Aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine social, il existe évidemment bien des problèmes qui devraient être abordés avec un désir d'entente et de pacification, mais, bien souvent, les partisans de la paix ne veulent pas s'occuper de ces problèmes —qui demeurent du seul domaine es leaders politiques— et préfèrent proclamer hautement leur amour de la paix en employant des slogans et des affirmations de caractère beaucoup trop général.

      Il serait, cependant, bien plus efficace d'atteindre, par des moyens pacifiques, la solution d'un seul problème politique ou social, même modeste, que de faire des dizaines de déclarations théoriques de bonne volonté.

      Ainsi, par exemple, à l'occasion d'une réunion tenue récemment à Luzerne, entre l'Américan Assembly de l'Université de Colombie et l'Institut pour les Etudes stratégiques de Londres, un des principaux participants déclarait dans une conférence de presse que «tous les États doivent renoncer une fois pour toutes à leur droit de se faire justice eux-mêmes». Il s'agit là d'un désir très juste et digne de louange, mais qui n'a pas la moindre possibilité de réalisation dans l'état actuel des choses. Pas même les politiciens les plus favorables aux idées supranationales, pourraient aujourd'hui porter leurs propres États souverains à se faire cette espèce de «hara-kiri». Un plan plus réaliste du même problème serait beaucoup moins ambitieux et tâcherait d'attirer l'attention de l'opinion publique sur des tâches vraiment réalisables.

 

Utilité et efficacité de l'action pacifique

 

      Les hommes qui s'occupent, à leur façon, de résoudre des problèmes de type politique ou social, pensent que les attitudes pacifiques ne servent à rien si l'on ne dispose de force suffisante pour les imposer militairement. Pour défaire cet argument il faut montrer par des faits que, du moins dans quelques cas concrets, même peu importants, des méthodes purement pacifiques ont donné des résultats efficaces et que par leur moyen on est arrivé à construire des solutions positives.

      La meilleure façon de travailler pour la paix sera donc de faire face à un conflit quelconque, grand ou petit, au moment où la violence est sur le point d'éclater, et tâcher d'y appliquer des moyens pacifiques. Si l'on obtient des heureux résultats ce sera l'occasion de présenter une telle expérience comme un exemple et un modèle applicable à beaucoup d'autres cas semblables. Cette idée de l'utilité et de l'efficacité de l'action pacifique doit gagner peu à peu du terrain.

      Les mouvements pacifistes se sont peut-être agités dans un cadre trop abstrait, trop idéaliste. Si l'on sépare l'idée de paix des réalités politiques et sociales où elle doit s'incarner, on risque de tomber dans une idéologie inopérante. L'idée de paix est bien mieux comprise quand on tâche de l'appliquer à une situation déterminée et que l'on éprouve aussi les difficultés d'une telle application. Pour cette raison, tous les mouvements en faveur de la paix devraient assumer la tâche de faire face aux problèmes réels bien déterminés, en y introduisant les bienfaits d'une mentalité pacifique.

 

Prévoir et prévenir les causes des conflits

 

      Il est très difficile qu'une action pacifiste puisse réussir lorsque les passions ont déjà été déchaînées. Par contre, si l'on aborde les problèmes à leur origine, quand ils sont encore en germe ou en embryon et n'ont pas été envenimés par des violences d'un côté ou de l'autre, alors il est bien plus facile de leur donner une réponse pacifique. Ainsi, dans le cas du conflit algérien, les gestes symboliques des pacifistes se manifestent trop tardivement et ils n'ont plus une signification très réelle.

      Si le problème avait été étudié à fond il y a trente ans et expliqué dans ses plus petits détails à l'opinion publique française, par des hommes de bonne volonté, cela aurait peut-être contribué à ce que l'état actuel des choses ne soit jamais arrivé. Une telle explication aurait été le rôle des véritables pacifiques dans ce temps-là. Mais, est-ce qu'il y en eu?

      De la même façon je me rappelle très bien des moments qui ont précédé la guerre civile espagnole: le conflit brutal était devenu déjà inévitable. Il n'y avait plus rien à faire et personne ne pouvait peut-être arrêter la marche des événements. Mais combien d'ignorances coupables, combien de volontés paresseuses et de devoirs non accomplis n'avaient-ils préparé cet état de choses!

      La tâche de l'homme pacifique est donc un travail à longue échéance et, dans la plupart des cas, un travail silencieux et modeste exigeant une sensibilité spéciale.

      Les artisans de la paix ne devraient pas commettre l'erreur de présenter la paix comme une idée abstraite et universelle. En fait, si les tactiques pacifistes ont échoué historiquement maintes fois, et n'ont même pas été utilisées dans la plupart des cas, c'est un sujet qui ne nous intéresse pas pour le moment. L'homme qui aime la paix doit regarder vers l'avenir et tâcher de prévoir les conflits futurs et les désamorcer à leur racine même. Là où il existe une injustice collective, l'oppression de l'homme par l'homme, la violation des droits naturels des individus et des communautés, on peut assurer que la violence ne tardera pas à pousser. Avant que cela n'arrive, le pacifique devra mettre en jeu ses propres moyens d'action, et le premier de tous celui de connaître et faire connaître la réalité d'une manière objective, de sorte à faire choc dans la conscience de ceux qui jouent le rôle d'oppresseurs.

      Ainsi, par exemple, l'état de misère, d'inégalité, d'abandon social, où l'on vit dans certaines régions frôlant de près d'autres régions de haut niveau de vie, pose un problème réel et concret aux véritables amis de la paix.

      On ne doit pas attendre que la violence éclate; il faut agir dès maintenant car c'est en cela que consiste le vrai pacifisme. La lutte pour le développement est une authentique tâche de paix.

 

Former la jeunesse

 

      Il existe beaucoup d'autres affaires d'ordre politique, social et culturel qui se trouvent étroitement en rapport avec la paix. Par exemple une action utile serait celle d'exiger dès maintenant, et de façon énergique, une formation non-violente de la jeunesse, et toutes sortes de mesures contre la propagande belliciste: ces mesures seraient pleinement justifiées par les événements du moment présent.

      Nous savons que, dans beaucoup de pays, la jeunesse, entraînée par des idéaux nationalistes extrêmes, se montre partisane d'une action violente. Les hommes qui appartiennent à d'autres générations sont bien plus prudents, mais il ne se rendent pas compte que ce sont eux-mêmes qui ont transmis ces idées aux jeunes par une éducation chauviniste, où la Nation et l'État sont présentés comme des valeurs absolues, et où l'orgueil et l'égoïsme collectif acquièrent l'apparence de grandes vertus.

      Il est urgent, avant que les choses aillent plus loin d'adopter partout les changements nécessaires pour éviter cette déviation de la mentalité des jeunes qui ne peut que se traduire par des nouvelles violences.

 

Développer l'idée et les moyens de coopération

 

      Voici donc une autre tâche concrète que le pacifique doit s'imposer lui-même. Il a le devoir de faire comprendre à l'opinion publique les défauts d'une éducation nationaliste. Il est même possible d'agir de façon raisonnable dans un sens positif, en tirant profit de certaines idées qui sont en vogue et qui peuvent être très utiles pour la Paix future des peuples. Ainsi, l'idée de la coopération, qui est imposée par les besoins économiques actuels, peut être un instrument permettant de semer des idées favorables à la paix. De nos jours, il apparaît plus clair que jamais «qu'un seul doigt ne peut prendre un caillou» et que, pour pouvoir subsister, les grands peuples ont aussi besoin de la coopération des petits.

      Le mouvement de coopération est en train de produire des migrations utiles pour la cause de la paix. Selon des statistiques récentes, 78.879 travailleurs étrangers permanents on été introduits en France dans le cours de l'année 1961, contre 48.901 en 1960. Le mouvement, qui procède surtout d'Espagne et d'Italie, peut servir de base pour établir des liens familiaux et économiques, et des intérêts humains communs; mais s'il est mal dirigé, peut être un jour cause de conflits entre les pays voisins. Souvent le travailleur qui émigre rentre à son pays rempli de haine contre le pays qui l'a accueilli; il l'accuse de toutes sortes d'injustices sociales. Les authentiques «artisans» de paix peuvent aussi réaliser sur ce terrain des oeuvres concrètes de la plus grande importance.

      Si l'on agit convenablement dans cet ordre des choses, il se peut qu'on réussise à ce que certains nationalismes changent de signe, qu'ils passent de «négatifs» à «positifs». Il faut que tous les peuples comprennent qu'il est avantageux pour eux de venir participer avec leurs propres ressources «au rendez-vous du donner et du recevoir».

      Les idées, exposées par exemple, par Léopold Senghor dans un livre assez surprenant sur le P. Teilhard de Chardin, s'ouvrent un chemin en ce moment aux dépens du phénomène de la décolonisation et peuvent très bien être un thème excellent pour ceux qui se proposeront de répandre l'idée de la paix sous des affirmations concrètes.

      Au fond, ces mêmes idées sont d'accord avec la doctrine déjà exposée par Pie XI dans Mit brennender Sorge; «un pays est vraiment grand quand il sait organiser sa vie économique et culturelle de telle sorte que toutes les catégories sociales, malgré leur diversité, puissent participer, d'une façon semblable et proportionnée, à la production de richesses et à leur répartition. D'ailleurs, un pays est vraiment grand quand, suivant ses responsabilités, il sait se mettre au service des autres pays et de l'humanité toute entière».

      Lorsqu'on démontrera l'efficacité de ces méthodes, le militarisme paraîtra moins attrayant. La phrase, un peu surprenante, du premier africain de couleur qui a obtenu le prix Nobel de la paix, Albert John Luthuli: «Je ne suis pas un pacifiste mais un réaliste», est peut-être une des plus subtiles qui aient jamais été prononcées pour la cause de la paix. Elle veut montrer, á mon avis, que les méthodes pacifiques peuvent être, de nos jours, plus utiles pour les peuples, que les méthodes violentes; et que, par conséquent, la cause de la paix doit être embrassée, non seulement en vertu de principes moraux, philosophiques ou religieux, mais aussi par pur réalisme politique.

 

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